TCHAD : VERS UN INEVITABLE CARNAGE A N’DJAMENA
(Afrique Education du 26 au 31 mai 2006)
L’information selon laquelle Idriss Déby aurait décidé de mourir à N’Djamena, l’arme à la main, est à prendre très au sérieux. Depuis quelques semaines, il n’écoute plus personne, ni le patriarche-doyen du continent, ni l’Union Africaine, ni même son ami Jacques Chirac qui trouverait son entêtement suicidaire, ni ses officiers supérieurs qui ont encore la force et la lucidité de lui tenir le langage de la vérité : on ne compte pas le nombre de fois que Déby a dégainé et tiré à bout portant sur un officier supérieur qu’il soupçonnait de mollesse ou de vouloir pactiser avec l’ennemi. De telles scènes se passent souvent, dans des casernes militaires, devant d’autres gradés de l’armée, question de leur montrer à quoi ils doivent s’en tenir au cas où ils emprunteraient le mauvais chemin.
Preuve de l’entêtement d’Idriss Déby Itno : par deux fois, Alpha Oumar Konaré lui a demandé, au nom de l’institution qu’il représente, de reporter la présidentielle du 3 mai. La dernière fois que cette requête a été formulée remonte au 30 avril, soit trois jours avant le scrutin. Déby s’est alors fâché contre Konaré qu’il a traité de tous les noms. C’est ainsi qu’il s’en est pris également à toute l’Union Africaine (UA).
Avant d’entreprendre quoi que ce soit, cette dernière voulait se faire sa propre religion sur l’implication du Soudan réelle ou supposée dans le conflit tchadien. Car dans cette affaire, le Soudan accuse le Tchad et le Tchad accuse le Soudan. Organiser la présidentielle dans un tel contexte, ne pouvait que compliquer encore plus la situation. Mais voyant que l’UA n’était pas aux ordres de N’Djamena, Déby a téléphoné à Chirac pour le supplier de l’aider coûte que coûte à organiser la présidentielle le 3 mai. La raison qu’il a invoquée, c’est qu’il y allait de sa propre survie, de celle de sa famille et de toute la communauté zaghawa. Après quelques réserves, le président français se serait laissé convaincre et aurait téléphoné à son homologue congolais qui préside actuellement l’UA. A première vue, l’argumentation de Chirac ne serait pas passée mais entre amis, il n’y a pas de quoi…même si Déby reproche à son homologue de Brazzaville de n’avoir pas su renvoyer l’ascenseur alors que c’est lui qui est à l’origine de sa promotion comme président en exercice de l’UA.
Voilà donc comment Konaré est prié de contacter les 53 Etats afin que chacun envoie au moins un observateur à la présidentielle du 3 mai. Mais les Africains ne sont pas dupes. Pour preuve, sur les 53 Etats, seuls 4 d’entre eux dépêchent quelqu’un : le Cameroun, le Niger, le Burundi et le Congo-Brazzaville. Ces pays n’ont même pas besoin d’allouer les frais de mission à leurs envoyés spéciaux car tous sont pris en charge par le prince : logés, nourris, blanchis au Novotel de N’Djamena et véhiculés par le parc gouvernemental.
4 sur 53 ! Visiblement, ce n’est pas bon. Jacques Chirac qui comptait sur l’appui massif des Etats africains à Idriss Déby avant de pondre, le 14 mai, un communiqué dans lequel il reconnaîtrait la victoire de ce dernier, semble bien coincé. D’autre part, la manœuvre qui consistait à courcuiter la décision (à venir) du Comité de prévention des conflits de l’UA qui devrait se tenir fin mai, semble elle aussi avoir du plomb dans l’aile. Il faut que les cellules de l’Elysée et de l’UA (mise dans la combine), trouvent rapidement une autre parade qui puisse faire avaler moins durement la couleuvre aux Africains. Mais ce ne sera pas simple. Car Déby (qui semble de nouveau s’entendre avec ses frères zaghawa du SCUD au nom de la solidarité tribalo-ethnique) redoute que Mahamat Nour le chasse du pouvoir avant. Voilà ce qu’il a laissé comme testament, au cas où il disparaissait, aux membres de son clan :
« si je meurs au Tchad, n’hésitez pas à tirer sur mon cadavre pour attester la thèse du coup d’état. Salissez au maximum ma mémoire pour conserver le pouvoir en faisant valoir des artifices démocratiques aux fins de garantir les intérêts du BET (Bornou Ennedi Tibesti, d’où sont sortis les trois derniers présidents, à savoir, Goukouni Weddeye, Hissène Habré et Idriss Déby). Si je meurs hors du Tchad, n’hésitez pas à prendre le pouvoir de force » ;
« Mahamat Nour et ses hommes, représentent un très grand danger pour le BET. Ils sont surarmés, très bien équipés, entraînés et disciplinés. Il faut donc tout faire pour signer une alliance avec Mahamat Nour avec pour objectif, son élimination physique plus tard, ce qui permettrait de désorganiser son mouvement, le FUC. Ainsi, après ma réélection, on scellerait la réconciliation (de tous les fils due BET) et tout repartirait comme avant ». Mahamat Nour étant au courant de ce double-jeu du SCUD de Yaya Dillo et autres Erdimi, c’est le général Mahamat Nouri, ancien ambassadeur du Tchad en Arabie Saoudite dont la très suspecte et subite démission n’est pas passée inaperçue, qui récupère les billes du jeu, mais sans grand espoir de réussir car il est déjà démasqué. Nouri, il faut le rappeler, est aussi un ressortissant du BET comme Déby, Goukouni et Habré. Ce 10 mai, vers 4 heures du matin, une délégation tchadienne à bord d’un avion français est parti acheter des armes lourdes en Turquie et dans les pays de l’Europe de l’Est. Il faut s’attendre à un carnage à N’Djamena.
N.B. Aux dernières nouvelles : la rébellion aurait abattu deux avions français et capturé au moins 7 soldats français. A N’Djamena, se tiennent réunions sur réunions depuis la fin de la semaine dernière. Objectif : éviter que les journalistes s’emparent de ce dossier à un moment où Jacques Chirac est au plus mal en France. L’ambassadeur de France au Tchad, Jean-Pierre Berçot souhaiterait vite récupérer les épaves des deux avions pour effacer toute trace. Mais la rébellion de Mahamat Nour, après s’être laissée avoir le mois dernier, n’écouterait plus Berçot.
Editorial
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